Du pôle d’emplois à la France qui travaille : pour une fête du travail (émancipateur) ?

Sélection réalisée en : mai 2022

La filmographie est également téléchargeable ici.

Atteindre le plein-emploi d’ici 2027, tel était l’un des paris ambitieux avancés par le candidat Macron lors de la campagne présidentielle. Dans son programme, il annonçait pour ce faire trois grandes réformes : celle de l’assurance chômage (déjà lancée lors de son premier mandat mais qu’il souhaite intensifier lors du second), celle du RSA (Revenu de solidarité active dont il veut conditionner le versement à une obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité d’orientation vers l’emploi) et, enfin, celle de «  France travail  », sorte de guichet unique réunissant l’ensemble des acteurs de l’emploi afin de «  rendre leur travail plus efficace  ». Aujourd’hui réélu, le président Macron devrait bientôt s’atteler aux réformes qu’il souhaite lancer dès l’été afin de pouvoir honorer ses promesses…

Alors puisque nous sommes «  autour du 1er mai  », nous avons glané quelques films dans notre Base cinéma & société et notre Base TESSA qui interrogent le sens des mots («  travail  », «  emploi  », «  activité  »…), mettent des images et des visages sur «  le chômage  », revisitent l’histoire en invoquant le cinéma-mémoire pour nous aider à nous souvenir de ce moment où la machine-système a, semble-t-il, commencé à dérailler…

(**) Le double astérisque signale les films visibles en ligne et en accès libre

© L’Usine de rien - Terratreme Films

De Pôle Emploi à France Travail

Du fait de la création de «  France Travail  » et de l’intensification de réforme de l’allocation chômage, Pôle emploi devrait connaître dans les années à venir un bouleversement sans précédent. La réforme de l’allocation chômage voulue par E. Macron est déjà en vigueur depuis 2021 et elle est reconnue pour être la plus importante réforme menée depuis la création du système tant elle consiste en un changement profond de paradigme. Bien avant sa mise en application, de nombreux groupements professionnels, syndicats, associations de chômeurs mais aussi agent·es de Pôle Emploi mettaient pourtant en garde le gouvernement contre les effets dramatiques de la réforme, comme le montre par exemple le film «  Retour à l’union  » (**) (2021) réalisé par Télé Millevaches au Théâtre de l’Union de Limoges, devenu, pendant quelques semaines au cœur de la pandémie, un lieu de rencontre entre intermittent·es et syndicalistes, entre sans papiers et étudiant·es comédien·nes, entre public et militant·es. Délétère pour les demandeur·ses d’emploi, la réforme va également compliquer le travail des agent·es de Pôle Emploi qui craignent que l’accompagnement qu’ils et elles sont censé·es apporter ne devienne mission impossible, le temps de traitement des dossiers s’allongeant d’autant, la liste des pièces justificatives demandées et leur mode de transmission encore davantage transformés en casse-tête… Déjà que la fiction d’un «  Moi Daniel Blake  » (2016) se confondait dangereusement avec la réalité documentaire de «  Pôle Emploi, ne quittez pas  !  » (2013), le pire serait-il encore à venir  ?

Car si l’on aimerait que les conseiller·ères de Pôle-emploi soient toutes et tous aussi disponibles, étonnamment attentionné·es et motivé·es que ceux que l’on suit dans «  Pôle Emploi, être ou savoir-être  » (**) (2020), qui s’attachent avec dévotion au sort des plus démuni·es face aux nouvelles tendances du recrutement, force est de constater qu’aujourd’hui plus encore qu’hier, les agences sont plutôt majoritairement soumises aux mêmes rythmes effrénés et autres contraintes ubuesques que celle au sein de laquelle Nora Philippe posait sa caméra, il y a dix ans déjà. Adoptant un ton doux-amer, se réfugiant souvent dans un second degré salvateur, le film «  Pôle Emploi, ne quittez pas  !  » passe des rapports parfois tendus que les agent·es entretiennent avec les demandeur·ses d’emploi à leur confrontation avec le fonctionnement absurde de l’agence elle-même, subissant tour à tour son illogisme et la pression de la crise politique et économique en cours, quand ils et elles ne craquent pas sous la dictature du chiffre et face à leur impossibilité de traiter correctement tous les dossiers.

En regardant ce film en immersion dans le quotidien d’une institution profondément malade, on ne peut qu’espérer qu’il atterrisse sur le bureau du président Macron avant qu’il n’entame sa réforme de «  France Travail  », et après avoir lu le livre blanc «  Paroles de chômeurs  » publié par un collectif associatif en janvier 2022 à l’attention des candidats à la présidentielle…

Déconstruire les mythes : de celui du plein-emploi à celui de l’assistanat

Alors que le versement du RSA pourrait dorénavant être soumis à une «  activité  » d’orientation vers l’emploi de 15 à 20 heures par semaine, et tandis que les nouveaux calculs des allocations visent à éviter qu’on «  gagne mieux sa vie en travaillant qu’en restant chez soi  » (ce qui ne serait «  actuellement pas toujours le cas  » (2)), quelques films nous ont semblé plus que nécessaires pour s’intéresser de près à ce qu’est vraiment «  le chômage  » et à ce qu’«  être privé·e d’emploi  » peut vraiment vouloir dire…

Rien de tel pour réviser ses classiques que les épisodes express de la série #Datagueule qui, en une dizaine de minutes chrono chacun, s’attaquent de manière efficace et dynamique aux idées reçues et nous évitent de toujours fredonner la même chanson de la stigmatisation. On commence par «  Chômage, mirages, naufrages  » (**) (2019) qui s’intéresse aux fainéant·es, aux parasites et autres inadapté·es qui auraient la chance de ne rien faire de leur journée, qui «  profiteraient  » et «  abuseraient  »  ! Face aux préjugés dont souffrent les privé·es d’emploi, l’épisode 90 de #Datagueule interroge : et si on osait dire que la solution au chômage se trouvait moins dans le contrôle et la répression que dans le changement de notre regard  ? On continue avec «  Assistanat : un mythe qui ronge la solidarité  » (**) (2016) qui nous montre que derrière la stigmatisation des «  assisté·es  », décidément à la mode à chaque période électorale, ce sont des questions bien plus profondes qui se posent, notamment sur notre rapport à la pauvreté, à la solidarité et à la valeur attribuée au travail dans notre société dite «  moderne  » où 8,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Terminons cette rapide mise à jour des idées reçues avec «  La faim du travail  » (**) (2016) qui rappelle que, depuis plusieurs années déjà, les «  nombreux emplois disponibles  » sont en réalité des contrats de plus en plus courts, de plus en plus «  jetables  », la polarisation du marché du travail s’accentuant entre d’un côté des postes hautement qualifiés et bien rémunérés et, de l’autre, des postes subalternes sous-payés.

Ces petites mises en bouche vous ont creusé l’appétit, vous souhaitez passer au plat de résistance  ? Rafraîchissons-nous la mémoire avec le reportage de Gilles Balbastre, «  Le chômage a une histoire  » (**) (2001), qui rappelle, en deux épisodes de 50 mn chacun, que les rares périodes pendant lesquelles le nombre de chômeurs diminue ne doivent pas nous faire oublier que notre pays connaît depuis plusieurs décennies un chômage de masse dont l’ampleur et la durée en font un phénomène à la fois structurel et inédit dans notre histoire. Les documents d’époque nous montrent comment se vivait le chômage et comment il était expliqué aux contemporains, tandis que les entretiens rétrospectifs portent un éclairage singulier sur les choix politiques et les erreurs de perception.

Également consacré au chômage de masse en France, «  Le travail, malade du chômage  » (**) (2011) se concentre sur les personnes alternant successivement des CDD et des périodes de chômage. Remettant en cause la tendance dominante à rendre les demandeur·ses d’emploi responsables du chômage qui les frappe, le reportage s’interroge sur la façon dont le vivier de chômeurs fait le jeu des employeurs dans une économie dirigée par le capitalisme financier, ainsi que sur le rôle joué par l’État dans cette casse sociale.

En guise de dessert, offrons-nous «  Un monde sans travail  » (**) (2017) dans lequel Philippe Borrel démonte de façon implacable les mythes de la croissance et du plein-emploi, regardant du côté de toutes ces machines qui sont entrées dans nos vies en transformant profondément au passage de nombreux secteurs d’activité. Annoncée comme une libération du travailleur, l’automatisation dans notre société s’apparente davantage à sa précarisation telle «  une maladie qui se propage  ». Face aux contrats courts qui ont explosé ces quinze dernières années, ne se trompe-t-on pas de combat : plus que le chômage, c’est peut-être plutôt de la qualité de l’emploi qu’il faudrait parler. Et comme «  La faim du travail  » l’esquissait déjà, «  Un monde sans travail  » pose la véritable question d’un autre mode de redistribution des richesses à inventer en s’interrogeant sur ce que le «  travail  » est réellement, sinon une intelligence collective collaborative.

Rêver le travail

Comme en témoignent les films réunis au sein du sentier «  Un travail qui a du sens  » de notre nouvelle base de données TESSA sur la Transition, l’Économie sociale et solidaire, et les Alternatives, les structures et acteurs et actrices de l’ESS, en quête perpétuelle de sens, réinventent et imaginent de nouvelles relations au travail qui leur permettent de proposer des modèles durables, des emplois de qualité mus par une volonté d’utilité sociale et d’impact positif sur l’environnement. En bref, des «  emplois à forte valorisation intrinsèque qui répondent aux besoins du monde  » (1). Parmi ces films positifs qui offrent une autre vision du travail, citons «  L’Usine de rien  » (2017), incarnation parfaite de la phrase de Godard : il faut faire politiquement des films et non faire des films politiques. L’usine abandonnée par la direction, les ouvriers et ouvrières se retrouvent tout aussi délaissé·es que désarçonné·es et, pour retrouver de la joie, vont s’efforcer de remettre du plaisir dans le travail. Du côté de «  Nouvelle cordée  » de Marie-Monique Robin (2019), c’est l’histoire de l’expérimentation «  Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée  » à Mauléon, racontée par celles et ceux qui l’ont vécue, qui nous prouve qu’au lieu de répondre au diktat du marché global et de la finance, des emplois peuvent s’ancrer dans les territoires, répondre à leurs besoins tout en s’adaptant aux compétences de celles et ceux qui les occupent. À leurs côtés depuis le début de cette aventure collective, la caméra capte la transformation physique et morale de ces ancien·nes laissé·es-pour-compte de l’économie dominante, qui revendiquent aujourd’hui une nouvelle manière de travailler et de vivre ensemble.

Finalement, tel le titre d’un reportage que Marcel Trillat et son équipe avaient réalisé bénévolement pour le Front de gauche lors des élections présidentielles de 2012, c’est à «  Rêver le travail  » (**) que nous invitent ces films. «  Que vous apporte votre travail  ?  », «  Qu’en attendez-vous  ?  », «  L’aimez-vous  ?  », voici les questions que le journaliste a posées à un ouvrier de la métallurgie en Savoie, un juge à Bézier, une caissière de supermarché à Albertville, un jardinier à Paris, une chômeuse à Vitry… récoltant les témoignages touchants de celles et ceux qui aiment leur «  belle ouvrage  » tout en déplorant, déjà à l’époque, la dégradation de leurs différents corps de métier.

Plein-emploi ou pleine activité  ? Pour une vision du travail au-delà de l’emploi

À la fin de «  Rêver le travail  », Marcel Trillat regrette que le travail ait été le grand absent des débats politiques de la campagne présidentielle de 2012 (qui l’ont remplacé par des discours sans fin sur l’emploi) et suggère de réinjecter la fierté du travail au sein la politique. C’est également sur ce constat que se terminent «  Un monde sans travail  » et les épisodes de #Datagueule mentionnés ci-dessus, entrant en écho avec les témoignages enthousiasmants de porteurs et porteuses de projets positifs réunis au sein de film «  Artistes de la vie  » (2019). Réalisé par l’association «  On passe à l’acte  », ce recueil d’entretiens invite à réfléchir aux valeurs que l’on accorde au travail, au-delà du simple emploi. Car si les deux mots sont utilisés de façon interchangeable dans le langage courant, se référant à la façon dont nous gagnons notre vie, leur sens profond est en réalité très différent, l’emploi n’étant qu’une forme de travail très spécifique, effectué en échange d’un salaire. Le changement de terminologie proposé par le président Macron, faisant glisser «  Pôle Emploi  » vers «  France Travail  » ne relève donc pas seulement d’une stratégie de communication, il témoigne d’une vision politique qui ne distingue plus les deux termes et qui affirme qu’en dehors de l’emploi, il n’y aurait peut-être point de salut, point de travail reconnu… et point d’existence non plus.

À l’inverse, les films réunis dans le chemin «  Travailler  » de notre nouvelle Base TESSA s’intéressent à la façon dont l’ESS redonne au travail son sens plus large d’activité et comment elle prend en compte l’impact de ces initiatives porteuses qui invitent à interroger le mythe du plein-emploi à l’aune du concept de la pleine activité. Car il est possible de travailler sans avoir pour autant un emploi, tout comme ce travail peut être utile à la société sans pour autant être rémunéré, être «  récompensé  » par un salaire. Et à l’image d’«  Artistes de la vie  », des films témoignent de cette recherche fondamentale d’un travail qui aurait un sens, afin de se sentir à sa place et de contribuer au bien commun. Des visions qui vont à contre-courant des réformes en cours ponctuées d’offres «  raisonnables  » impossibles à refuser, d’allocations chômage conditionnées à la recherche d’un emploi considéré comme seule source de subsistance incontournable – en bref, un emploi à tout prix, quel qu’il soit et quoi qu’il en coûte.

Pour un 1er mai - Fête du travail émancipateur

Considérer le travail dans toute sa globalité, comme un ensemble d’activités productrices de richesses à la fois matérielles et spirituelles, est loin d’être une idée récente. Deux films recensés dans notre base permettent par exemple de découvrir le Familistère de Guise, ce lieu unique en France imaginé au XIXe siècle par l’industriel Jean-Baptiste André Godin qui y a expérimenté une société nouvelle basée sur la justice sociale et qui perdurera pendant plus d’un siècle. «  Le Familistère de Guise, une utopie réalisée  » (**) (2013) et «  Le Familistère de Guise. Une cité radieuse au XIXe siècle  » (**) (1999) donnent à voir ce «  palais social  », un habitat collectif réunissant sans hiérarchie ouvriers/ouvrières et ingénieur·es de l’usine Godin. Pensé comme solution à la question sociale, il y propose des magasins coopératifs moins chers qu’en ville au sein desquels les travailleur·ses peuvent directement jouir des richesses qu’ils ont produites. Par le confort des habitations et l’accès à des services qui leur seraient indisponibles autrement, Godin souhaite fournir aux travailleur·ses ce qu’il appelle les «  équivalents sociaux à la richesse  » et vise l’émancipation collective, notamment via la culture à laquelle les habitant·es peuvent se consacrer grâce au temps gagné sur la durée de leur trajet, le Familistère étant construit à quelques minutes à pied de l’usine.

C’est également au Familistère qu’est née en 1867 la première Fête du travail. Godin souhaite alors y célébrer le travail comme fondement matériel et spirituel de la société, et y glorifier l’association coopérative. Fixée au premier dimanche de mai dès le milieu des années 1870, la Fête du travail du Familistère de Guise célèbre un monde nouveau, où la richesse est au service de celles et ceux qui la produisent par leur travail. On est loin de l’ambiance du «  Premier mai à Saint Nazaire  » (**), reportage tourné en 1967 au cœur des chantiers de l’Atlantique, produit par l’ORTF qui le censurera pourtant par la suite. La caméra de Marcel Trillat enregistre les derniers temps forts d’un mouvement qui marquera les esprits pour longtemps, tant du fait de la victoire finalement obtenue que par l’épreuve vécue pendant deux mois et la solidarité qui s’est développée entre les grévistes et la population nazairienne. À l’image de cet événement, nos 1er mai d’aujourd’hui s’inscrivent bel et bien dans le sillon de la «  Journée internationale des travailleurs  » instaurée par le Congrès de la IIe Internationale socialiste réuni à Paris en 1889, à l’instar des premières actions de grèves étatsuniennes menées les 1er mai depuis 1884 qui l’ont inspirée. Journée à la gloire des luttes sociales et des indispensables revendications en cours, elle commémore également les combats passés des salarié·es.

Mais en voyant combien le contraste est fort avec les célébrations du Familistère de Guise, on se prend alors à rêver : et si le 1er mai redevenait la Fête d’un travail émancipé, un travail qui aurait un sens profond et global, un travail qui produirait des richesses dans l’intérêt général, un travail répondant tout simplement aux besoins du monde  ?

(1) Arnaud Lacan, À la reconquête du travail durable, L’économie sociale et solidaire en pionnière, Éditions Les Petits matins, 2021, pp. 18-19).

(2) Allocution du président Macron le 12 juillet 2021.