Gilets jaunes : la mémoire filmée d’un mouvement

Sélection réalisée en : février 2022

Il y a un peu plus de trois ans, en octobre 2018, des «  Gilets jaunes  » se mobilisent et apparaissent un peu partout en France. Ce mouvement social spontané et non structuré s’incarne alors dans diverses actions comme des blocages d’axes routiers et de carrefours giratoires, ou encore des manifestations nationales qui se tiennent chaque samedi à partir du 17 novembre 2018 jusqu’au confinement de mars 2020.

La filmographie de février 2022 est téléchargeable au format pdf ici.

Le supplément de mai 2022 à l’occasion de la création du fil de l’Histoire «  Gilets jaunes  » est téléchargeable au format pdf ici.

© J’veux du soleil - G. Tricard

Quand les images filmées se font mémoire

Dès le début des mobilisations, des cinéastes se rendent sur place afin de filmer le mouvement de l’intérieur, dans son immédiateté. Il s’agit de témoigner de cet élan populaire spontané, à la fois local (jusque dans les plus petits villages de France) et global (à travers tout le pays), et d’en donner à voir toute la diversité.

En décembre 2018, c’est par exemple les documentaristes François Ruffin et Gilles Perret qui partent à la rencontre de Gilets jaunes sur les ronds-points : «  J’veux du soleil  » sera le premier long métrage documentaire sur le sujet à sortir en salles le 3 avril 2019. D’autres films, auto-produits, réalisés en immersion et diffusés localement ou via internet, témoignent de la profondeur du mouvement des Gilets jaunes et de la détermination de ses acteurs. «  Fin du moi, début du nous  » suit par exemple trois mois de la vie d’un même rond-point, à Alby-sur-Chéran (74). Six documentaristes des Mutins de Pangée réalisent quant à eux en 2019 «  Le Rond-point de la colère  », un film centré sur le rond-point de Aimargues dans le Gard, de ses débuts à sa destruction, grâce aux images filmées par des Gilets jaunes locaux.

Un autre documentaire intitulé «  Nous ne sommes rien, soyons tout  », réalisé par Baya Bellanger, suit pendant un an et demi, de l’hiver 2019 jusqu’au premier tour des élections municipales de 2020, le groupe de Gilets jaunes de Commercy, l’un des premiers en France à s’être positionné en faveur d’une structuration du mouvement comme le montre, dans un geste cinématographique spontané, Dominique Cabréra avec «  Notes sur l’appel de Commercy  ». De même, «  Il suffira d’un gilet  » offre un regard de l’intérieur des premiers blocages à Rennes (fin 2018) jusqu’aux débats des «  Assemblées des assemblées  » de Saint-Nazaire (en avril 2019), en passant par d’autres endroits emblématiques comme une maison du peuple ou les Champs-Élysées, nous plongeant au fil des mois dans les diverses actions et les débats qui ont traversé le mouvement.

La réalisatrice Anne Gintzburger a quant à elle décidé de s’intéresser de plus près à la place des femmes dans le mouvement : sa série «  Femmes en jaune  » dresse le portrait d’infirmières, aides-soignantes, étudiantes et autres citoyennes retraitées ou à la recherche d’un emploi qui ont décidé de prendre la parole pour raconter la spirale de la précarité.

Le temps long de l’analyse cinématographique

Tandis que les mobilisations s’inscrivent dans la durée, d’autres cinéastes décident d’analyser, en prenant davantage de recul, les dynamiques sous-jacentes de cet élan massif, à la fois hétérogène et multiple.

En novembre 2019, soit un an après le début du mouvement, le documentariste Jean-Paul Julliand sort le film «  Graine de ronds-points  » qui, en suivant trois camps de Gilets jaunes en Isère entre novembre 2018 et juin 2019, mêle son récit avec les questions de société que soulève le mouvement. «  Un peuple  » offre quant à lui l’originalité d’une plongée passionnante dans les coulisses de ce mouvement protéiforme en allant à la rencontre d’une pluralité d’individualités tout en dressant un historique du mouvement. Dans «  Gilets jaunes, la fabrique d’une révolte  », les co-réalisateurs en décryptent les mécanismes, tentent d’en comprendre l’émergence loin des médias nationaux ainsi que le rôle qu’Internet a pu jouer dans son développement, le tout sans éluder les dérives du mouvement.

À l’instar du documentaire réalisé par Nolwenn Le Fustec et intitulé «  Cette semaine où les Gilets jaunes ont fait vaciller l’État  », plusieurs reportages sont diffusés tout au long de l’année 2020 et tentent de décrypter les enjeux des différentes étapes historiques et moments marquants du mouvement.

La mise à jour d’une certaine stratégie de la répression

Mais ce que cette mémoire filmée des Gilets jaunes permet également de révéler, c’est la répression qui s’intensifie au fur et à mesure des différents épisodes de mobilisations. La réponse policière et judiciaire à ce mouvement social est, selon StreetPress, «  un fait politique majeur  » : rarement un mouvement social n’a été autant réprimé. L’ampleur des violences qui ont émaillé les grandes manifestations urbaines et ont ému toute la France a parfois été présentée comme émanant uniquement du mouvement des Gilets jaunes - ces derniers étant alors souvent assimilés indistinctement à des «  casseurs  » et leurs actions légitimant la violence policière exercée en retour. A contrario, des films comme «  Gilets jaunes, une répression d’État  » ou «  L’Ordre à tout prix  », nous montrent que cette violence policière n’est pas tant réactionnelle qu’intentionnelle, et qu’elle est par ailleurs ancienne, le «  moment  » des Gilets jaunes ne représentant que la généralisation d’une politique de gestion des foules en gestation depuis près de 50 ans dans les quartiers populaires, les ZAD et aux abords des stades… Comme le rappelle très justement un article du Monde, un film comme «  L’Ordre à tout prix vient utilement rappeler cette évidence : le maintien de l’ordre ne relève pas de la pure mise en œuvre de techniques policières. Garantie du respect d’un droit constitutionnel – celui de manifester –, il demeure, avant tout, une matière éminemment politique.  »

Ces documentaires, au même titre que celui de David Dufresne «  Un Pays qui se tient sage  », sont autant de plongées au cœur des forces de l’ordre qui nous permettent de comprendre l’évolution récente de la stratégie gouvernementale et ses impacts directs sur notre liberté de manifester. Des institutions (l’ONU, le Conseil de l’Europe…) ainsi que des ONG critiquent d’ailleurs cette conduite inadaptée du maintien de l’ordre et s’interrogent sur l’usage d’armes telles que les LBD et les grenades de désencerclement. Ainsi, en septembre 2021, Amnesty International sort «  Présumé coupable  » dénonçant ce qu’elle qualifie de «  judiciarisation du maintien de l’ordre  », ces arrestations abusives et placements en garde à vue qui constituent autant de violation de notre droit de manifester. Avec ce documentaire, Amnesty International rappelle à quel point il est important de protéger ce droit inaliénable grâce auquel une grande partie de nos droits fondamentaux ont été obtenus.

Sans oublier l’humain…

Au-delà de la dénonciation, du décryptage et de l’analyse permettant de complexifier les événements dans leur dimension sociale et historique, la force du cinéma c’est aussi et surtout de nous emmener à la rencontre d’êtres humains. En définitive, tous ces films sur les Gilets jaunes nous donnent à voir l’expressivité de leurs visages, nous font entendre la spontanéité de leurs paroles, mais aussi ressentir au plus profond de nous les émotions vécues par celles et ceux qui, avant d’être des manifestants, sont avant tout des personnes. À la fois témoins et preuves vivantes d’injustices sociales, parfois victimes de la politique de maintien de l’ordre française qui a imprimé dans leur chair des blessures irrémédiables, les Gilets jaunes ont avant tout fait valoir leur droit d’exister, d’être dans la rue et leur liberté de manifester. Les cinéastes sélectionnés dans cette filmographie ont toutes et tous en commun d’avoir essayé de comprendre puis de transmettre la dimension profondément humaine de leur démarche. C’est pourquoi des films comme «  Ma blessure d’âge adulte  » nous habitent longtemps, le regard d’auteur qu’ils nous livrent nous disant bien autre chose que les images de violences urbaines qui ont tourné en boucle et «  à chaud  » sur les chaînes d’information en continu ou via les réseaux sociaux.

Maintenant, c’est votre tour : immergez-vous dans ces histoires, faites-les vôtres et partagez-les  !

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