[Un livre - Une filmo] La justice climatique : prévenir, surmonter et réparer les inégalités liées au changement climatique.

Sélection réalisée en : mai 2023

Dans le cadre de son partenariat avec les Éditions Charles Leopold Mayer (ECLM), Autour du 1er mai vous propose «  Un livre – Une filmo  », une sélection de films en lien avec la thématique d’un ouvrage récemment publié. En ce mois de mai, ce sont deux filmographies qui sont au programme : la première, déjà disponible ici, vient illustrer le Petit traité d’écomobilité d’Alexis Fraisse, quand la seconde, ci-dessous, creuse les enjeux soulevés par les autrices Marta Torre-Schaub et Sabine Lavorel, La justice climatique : prévenir, surmonter et réparer les inégalités liées au changement climatique.

Les deux ouvrages, publiés respectivement les 5 mai et 16 juin 2023, sont à retrouver en librairie. Plus d’informations sur le site des ECLM.

Bon à savoir : les films dont le titre est suivi du signe (*) sont disponibles gratuitement en ligne (le lien est indiqué à la fin de chaque fiche.

La filmographie est également disponible au format pdf ici.

© L’Arche d’Anote - Eye Steel Film

Finance et justice climatique : un marché du droit à polluer

Les changements climatiques affectent désormais la globalité de la population mondiale et nos équilibres écosystémiques. Les répercussions des systèmes financiers en place bouleversent nos modes de vie et les scientifiques s’accordent pour dire qu’à l’avenir, les changements climatiques ne feront qu’accentuer les inégalités économiques et sociales d’ores et déjà observées entre les États, entre les communautés, mais aussi entre les différentes catégories sociales et entre les individus. Dans ce contexte, la justice climatique s’est récemment imposée comme une question incontournable.

Dans leur ouvrage sur le sujet publié par les ECLM, Marta Torre-Schaub et Sabine Lavorel reviennent dans un premier temps sur les origines de cette justice climatique et, notamment, sur le moment où les États se sont entendus pour partager le «  budget carbone  » et adopter une approche redistributive de la justice climatique au niveau international. Nombre d’ONG et de chercheur·es ont, depuis, largement interrogé la pertinence de ce qui est devenu un «  marché du droit à polluer  », même si le but initial affiché était bel et bien d’endiguer le réchauffement climatique.

En regardant un peu en arrière, on est en effet en droit de se demander s’il était bien raisonnable d’imaginer que le monde de la finance puisse devenir un acteur efficace au service de la lutte contre le changement climatique et aider à la construction d’une transition juste… Pour Tom Heinemann, réalisateur du documentaire d’investigation The Carbon Crooks (2013) (*), la réponse ne fait aucun doute : alors que le protocole de Kyoto arrivait à expiration, il a enquêté sur la façon dont les pays signataires s’y sont pris pour respecter leur engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une des solutions a été d’acheter des crédits carbone : si un pays riche avait du mal à atteindre les objectifs fixés par le protocole de Kyoto, il lui suffisait d’acheter des tonnes d’équivalents CO2 à des pays pauvres… Mais la machine s’est grippée et, selon Europol, la fraude fiscale dans ce secteur s’est rapidement élevée à plus de 5 milliards d’euros  ! Le système du crédit carbone s’est ensuite écroulé et les prix ont chuté de 90%. La conclusion de Carbon Crooks est sans appel : les émissions carbone n’ont, depuis, cessé d’augmenter et polluer n’a jamais été si bon marché…

Protéger les victimes et réparer les dommages climatiques

Dans la seconde partie de leur ouvrage, les autrices Marta Torre-Schaub et Sabine Lavorel s’intéressent à un autre volet de la justice climatique, celui de la reconnaissance des victimes. Les droits des déplacés et migrants climatiques sont encore trop souvent niés et il devient urgent d’ériger des normes pour assurer leur protection et pour encadrer leur réinstallation – que ce soit à l’intérieur d’un même pays ou à l’échelle transfrontalière. Plusieurs films témoignent avec force des effets dévastateurs du changement climatique sur les États insulaires menacés de disparition. En 2014, avec Thulé Tuvalu, le documentariste Matthias Von Gunten permettait déjà de prendre la mesure de la violence des bouleversements que quelques degrés de plus peuvent provoquer à l’échelle humaine, d’une extrémité à l’autre de la planète : à Thulé (au Groenland) comme à Tuvalu (dans l’archipel polynésien), les populations sont ainsi non seulement sommées d’abandonner leur mode de vie traditionnel mais aussi contraintes de rejoindre les rangs des réfugiés climatiques si elles veulent espérer simplement survivre.

Plus récemment, L’Arche d’Anote (2018) nous emmène aux Kiribati, au cœur de l’océan Pacifique. L’un des lieux les plus isolés de la planète, cette minuscule République insulaire est devenue, bien malgré elle, un symbole du changement climatique. Les îles qui composent le pays sont en effet ravagées par les typhons et rongées peu à peu par l’inéluctable montée des eaux : comment, alors, assurer la survie d’un peuple entier  ? Le documentaire fait se croiser le destin d’habitants qui ont déjà commencé à chercher refuge à l’étranger et celui d’Anote Tong, président des Kiribati, parti en croisade à travers le monde pour assurer aux habitants des conditions dignes d’émigration et tenter de sauver, si ce n’est le pays, du moins la culture de celui-ci.

C’est à l’aide d’images tout aussi sublimes et avec un brin de poésie filmique en plus que le réalisateur Corto Fajal tente justement de nous faire comprendre - et surtout ressentir - ce lien fort qui unit les îliens du Pacifique à leur territoire. Avec Nous, Tikopia (2018), qu’il raconte depuis le point de vue et la parole de l’île, Fajal nous plonge dans la cosmovision des Tikopiens : ceux-ci considèrent en effet leur île comme un être vivant, leur principal partenaire de vie qui les abrite, les protège et les nourrit – une relation millénaire dont la transmission aux générations futures se trouve déjà profondément bouleversée.

Mais nul n’est besoin d’habiter au beau milieu de l’océan pour subir de tels bouleversements et voir son intégrité physique et culturelle menacée. Dans le court métrage L’Isle de Jean-Charles (2014) (*), les habitants de ce minuscule lopin de terre perdu dans le bayou de la Louisiane du Sud sont eux aussi contraints de s’adapter à la montée des eaux, l’érosion côtière et les tempêtes. Faire reconnaître les défis de cette adaptation forcée comme une priorité de l’action internationale, c’est ce pour quoi se bat Saleemul Huq, expert de la question et conseiller en négociation au sein du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Une partie du film Une fois que tu sais (2020) lui est consacrée, tandis qu’entre moussons destructrices, fonte de l’Himalaya et montée du niveau des mers, son pays - le Bangladesh - est déjà pris dans l’étau d’un climat qui s’emballe. Depuis 24 ans, Saleemul Huq se fait la voix des cinquante pays les plus pauvres pendant les sommets du climat. Au cours de la COP21 à Paris, il a été le fer de lance d’efforts visant à ratifier un mécanisme mondial de solidarité qui éviterait que l’injustice climatique ne devienne le terreau d’un nouveau type de terrorisme.

Politiques publiques, nouvelles institutions et démocratie participative

La troisième et dernière partie de l’ouvrage Justice climatique : prévenir, surmonter et réparer les inégalités liées au changement climatique aborde, entre autres, la nécessaire réorientation des politiques publiques et la création de nouvelles institutions ad hoc. Les autrices se penchent par exemple sur le Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, pionnier de la justice climatique, ainsi que sur le Haut Conseil pour le climat dont la mise en place vise à davantage de cohérence au sein des politiques publiques. Elles s’intéressent également à l’épineuse question de la démocratisation des choix en matière environnementale, comme dans le cas de la première Convention citoyenne pour le climat qui s’est tenue en France, en 2019. Le documentaire Les 150 : des citoyens s’engagent après la Convention citoyenne pour le climat (2021) (*) revient sur cet exercice de démocratie participative qui a réuni, pendant 9 mois, 150 Français de tous horizons sociaux et politiques pour concevoir 149 mesures d’action face aux changements climatiques. Avouant avoir pris «  une claque  » en réalisant l’ampleur de la crise climatique, et bien qu’ayant des doutes sur l’utilité réelle de leur travail et de leurs propositions, ces 150 «  décideurs d’un temps  » confient néanmoins avoir vécu une expérience inoubliable qui, pour certains, les a profondément changés. Rentrés chez eux, ils ont transformé leurs modes de vies, se sont attelés à la tâche infinie de sensibiliser et de transmettre ce qu’ils ont appris : en bref, ils sont devenus des acteurs de la lutte contre le changement climatique.

C’est à une expérience similaire, même si partant d’une proposition cette fois fictive, que nous assistons dans Climat, le théâtre des négociations (2015) (*). À la croisée du théâtre et des sciences politiques, la COP21 «  jouée  » en mai 2015 par 200 étudiants du monde entier visait à réinventer les conférences sur le climat de l’ONU. Accompagnés par le philosophe Bruno Latour et par Laurence Tubiana, représentante spéciale de la France pour la COP21, les jeunes participants étaient invités à changer nos représentations politiques. Ainsi, devant nous, sur la scène du théâtre des Amandiers de Nanterre, ce ne sont plus les seuls représentants des États qui réfléchissent à comment limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, mais aussi les représentants des peuples autochtones, des villes, des océans ou encore de l’atmosphère qui déposent leurs propres idées sur la table des négociations. Tous négocient, modifient les équilibres géopolitiques et les visions possibles du futur.

Repenser la justice climatique sous d’autres prismes

En 2015, l’épisode «  Énergies fossiles : mortelles subventions  » (*) de la toujours percutante série #Datagueule suggérait déjà que c’était tout le système de financement des énergies qu’il fallait peut-être changer, des subventions rendant particulièrement attrayantes et peu chères les énergies fossiles, et ce, alors que nos émissions de CO2 continuaient de battre des records et que le changement climatique devenait notre compagnon de route. Ainsi, pour Naomi Klein, qui relie de façon implacable dans Tout peut changer (2015) la présence du carbone dans l’air et le système économique qui l’a engendré, la crise existentielle du changement climatique serait une chance qu’il nous faudrait saisir et dont nous devrions nous inspirer pour radicalement transformer notre système économique défaillant en un nouveau système foncièrement meilleur… Pour ce faire, les communautés situées sur les lignes de front – et à qui elle rend visite dans le film, à travers neuf pays sur les cinq continents – ne manquent pas d’idées et de suggestions concrètes.

De même, Irrintzina, le cri de la génération climat (2017) (*) suit celles et ceux qui, de Bayonne à Paris, se mobilisent contre les multinationales des énergies fossiles et les banques qui les soutiennent, tout en promouvant des solutions alternatives et en inventant un autre avenir, désirable celui-ci, où lutte écologiste et sociale rime avec plaisir et joie d’agir. Le changement de paradigme pour davantage de justice climatique ne s’arrête d’ailleurs pas à nos seules consommations d’énergie : dans Changeons le commerce, pas le climat (2015) (*), Artisans du monde montre que c’est le modèle de développement productiviste promu par les politiques de libéralisation qui est à l’origine du dérèglement climatique et des inégalités qu’il entraine, et qu’il convient donc de valoriser des solutions de production, d’échange et de consommation alimentaire plus sobres et plus équitables.

La justice climatique devant les tribunaux : vers une reconnaissance du crime d’écocide  ?

Le changement de prisme pour repenser la justice climatique se fait aussi au sein des tribunaux où une petite révolution théorique et pratique est en cours. Si les autrices Marta Torre-Schaub et Sabine Lavorel interrogent la notion de «  litiges climatiques  » et dressent un premier bilan de la justice climatique au prétoire (tout en soulevant l’absence de responsabilité internationale des contributeurs au réchauffement de la planète, qu’il s’agisse des entreprises ou des États), elles regardent également du côté de tout ce nouveau mouvement qui est en marche et qui œuvre pour une meilleure et une plus juste utilisation d’un commun global.

C’est de ce courant animé par la pensée solidaire qu’a émergé une idée différente de la justice climatique via le droit pénal et le concept d’«  écocide  »  ; un concept expliqué et illustré par deux films récents, impulsés par la jeune génération. Dans Impunity. Voyage au cœur de la justice environnementale (2022) (*), la réalisatrice de 23 ans, Alizée Dubois, filme la mer de Glace en France qui continue sa course folle vers la disparition, le lac Di Vico en Italie condamné par la monoculture de noisettes et le lac Vättern en Suède, alors qu’il ne sera bientôt plus qu’une masse d’eau morte et toxique… Sac sur le dos, elle sillonne ces trois pays d’Europe avec une même question en tête : comment les États, les multinationales, les forces militaires et les lobbys miniers parviennent-ils encore aujourd’hui, et en toute impunité, à contourner les lois qui protègent notre environnement  ? Mais elle rencontre aussi celles et ceux qui sont forces de propositions et qui militent sans relâche pour la reconnaissance de l’écocide dont sont victimes leurs territoires.

C’est à ce même exercice d’ouverture des consciences par le biais du développement de concepts juridiques novateurs que se sont prêtés les jeunes étudiants à l’initiative du film Écocide : changer ou disparaître (2022) (*). Ils créent ainsi des synergies entre le domaine de la fiction – le procès pour écocide qu’ils interprètent et qui sert de fil conducteur au film – et celui du documentaire grâce à une pléiade d’intervenants qui, appelés à la barre de cette cour de justice internationale imaginaire, apportent leurs connaissances et leur sagesse. Parmi ces témoins de choix nommons Jane Goodall, Mathieu Ricard, Vandana Shiva, Satish Kumar, mais aussi plusieurs personnalités juridiques non humaines dont la parole et les dommages subis peuvent enfin être écoutés… Assumant dans la forme son côté jeu de rôles pour amateurs et volontairement accessible en ligne gratuitement, ce docu-fiction personnifie le bras de fer entre des forces qui s’obstinent à perpétuer un mode de vie devenu obsolète et destructeur, et celles qui défendent l’urgence d’une humanité plus sobre et consciente des limites de notre Planète. Gageons qu’il pourra servir de support et d’inspiration à bon nombre d’expérimentations futures.