Perspectives décoloniales

Sélection réalisée en : août 2022

La filmographie est également téléchargeable au format pdf ici.

Le 9 août prochain aura lieu la Journée internationale des peuples autochtones. Cette manifestation, impulsée par les Nations unies depuis 2014, est l’occasion de célébrer les richesses des communautés et nations autochtones qui, bien que ne représentant que 5 % de la population mondiale, incarnent plus de la moitié de sa diversité culturelle. Mais la Journée internationale se veut également un moyen d’appuyer leurs combats contre les discriminations et pour la reconnaissance de leurs droits fondamentaux.

Nous étions donc en train de vous préparer une filmographie sur le sujet quand nous avons entendu, le 26 juillet dernier, l’intervention de Davy Rimane secouer l’Assemblée nationale. Regrettant que dès qu’il s’agit «  des territoires qui ont des réalités autres que celle de l’Hexagone, c’est toujours ‘Non’  » ou «  ‘On verra après’  », martelant qu’à «  chaque fois c’est la même chose : on ne parle pas de nous  ! [Or] vos réalités sont loin d’être les nôtres  », le député guyanais a rappelé qu’il était temps que les territoires ultramarins et insulaires fassent enfin partie des débats(1).

Alors si l’amorce de notre sélection du mois est bien autochtone, c’est finalement une filmographie plus largement décoloniale que nous vous invitons à découvrir. L’occasion d’inverser notre point de vue trop souvent ancré en métropole, de nous familiariser davantage avec ces «  ex-colonies françaises  » dont on nous parle si peu, mais aussi d’affronter le spectre colonial qui hante encore de nombreux pans de notre société contemporaine.

Nota : (**) Les films de notre sélection visibles en ligne gratuitement ou (*) en VOD.

(1) Intervention de Davy Rimane, député NUPES, le 26 juillet 2022 : «  Dès que [les débats] concernent des territoires qui ont des réalités autres que celle de l’Hexagone, c’est toujours ‘Non’, ‘On verra après’. À chaque fois c’est la même chose  ! […] Vos réalités sont loin d’être les nôtres. Il y a un problème dans le débat, on n’existe pas  ! Cela fait plus de 70 ans que c’est la même chose et y a rien qui avance  ! […] Il va falloir apporter des réponses concrètes pour les territoires ultramarins et insulaires. On ne peut plus continuer comme ça  !  »

© Les Statues de la discorde - Beau comme une image productions

Remonter le fleuve de la colonisation

Parmi les nombreux films portant sur des thématiques autochtones recensés dans la Base cinéma & société, nous avons choisi de mettre en avant ce mois-ci l’un de nos coups de cœur, «  Unti, les origines  » (*) (Guyane «  française  », 2018, 57mn). Dans cet hypnotique documentaire d’auteur entièrement tourné dans sa langue maternelle, le kali’na, le réalisateur Christophe Yanuwana Pierre remonte le Maroni à la rencontre des peuples amérindiens de Guyane et à la recherche de sa propre identité. Fil rouge de son voyage initiatique, le fleuve se fait alors le vecteur des colères du cinéaste, de sa tristesse, de ses interrogations quant à la situation sociale et économique des Autochtones de Guyane… mais aussi de ses espoirs.

Pour des luttes écologistes et décoloniales

Autre style (tout aussi coup de poing) et autre territoire (tout autant marqué par l’Empire colonial français), c’est en Martinique que vous embarquera le très justement intitulé «  Décolonisons l’écologie. Reportage au cœur des luttes décoloniales et écologistes  » (**) (Antilles «  françaises  », 2020, 103mn). Le film part d’un double constat contradictoire : les personnes racisées sont les premières concernées par la crise capitaliste et ses impacts environnementaux, sanitaires et sociaux, mais elles se retrouvent totalement invisibilisées au sein de la lutte écologique «  mainstream  », ainsi que dans les instances de décisions et de construction des stratégies de lutte. Les trois cinéastes militant·es décident alors d’aller à la rencontre de celles et ceux qui, depuis la Caraïbe, proposent des solutions radicales pour abolir un système colonial, capitaliste, écocidaire et génocidaire. En s’appuyant sur le cas de l’empoisonnement au chlordécone en Martinique et en révélant ainsi au grand jour les discriminations environnementales et sanitaires que continuent de subir les peuples des ex-colonies françaises, ce reportage fort de sens démontre que les luttes écologistes sont indissociables des luttes antiracistes.

D’Histoire et de statues

Un autre sujet brûlant traverse la Martinique et la Réunion, en passant par Paris et St-Denis : celui de ces statues et autres plaques commémoratives qui occupent nos espaces publics et glorifient des personnages dits «  historiques  » tout en maintenant dans l’ombre tout un pan de leurs actions les plus abjectes. «  Les statues de la discorde  » (**) (Antilles «  françaises  », 2021, 51mn) raconte l’histoire de militant·es ultramarin·es qui questionnent ces monuments érigés à la gloire de personnages coloniaux. En s’attaquant ainsi aux symboles du passé – sans pour autant les censurer ni demander à ce qu’ils soient oubliés –, ils et elles proposent de changer le présent, en appelant à la justice, à l’égalité et à la reconnaissance d’une histoire effacée.

S’il s’agit également de statues dans «  Restituer  ? L’Afrique en quête de ses chefs-d’œuvre  » (France, 2021, 83mn), elles sont d’une toute autre nature puisque le documentaire de Nora Philippe se confronte à l’épineuse question des patrimoines nationaux et des collections d’art privées qui font rayonner à l’international les musées européens sans que ceux-ci arrivent à véritablement regarder en face leurs véritables conditions d’acquisition (pillages coloniaux et autres appropriations privées). On prend également conscience de leur difficulté à en tirer les conséquences pour l’avenir, tant ils ont du mal à envisager toute restitution et s’accrochent jalousement à leurs trésors.

Transmissions, générations

En définitive, ce qui anime de façon transversale les films réunis au sein de cette sélection, c’est bien cette partie d’une Histoire partagée que d’aucuns souhaitaient nous faire oublier de force mais que le geste documentaire s’oblige à déterrer, avec obstination et raison. Et la nécessaire transmission entre générations peut alors pleinement reprendre ses droits. C’est ce que montre par exemple «  Ann O’aro Danyel Waro. Deux voix du maloya  » (*) (Réunion, 2020, 60mn) dans lequel Guillaume Dero livre un portrait vibrant de deux figures charismatiques de la scène musicale traditionnelle réunionnaise. Danyel Waro est l’une d’elles : viscéralement anti-colonial et anti-fasciste, ce poète défend le maloya, style musical de la Réunion longtemps interdit qui connaît depuis les années 1980 une certaine renaissance. Par sa musique, Danyel Waro chante l’importance du patrimoine culturel réunionnais, tandis que ses paroles acérées dénoncent, en créole, les injustices sociales et les formes contemporaines de dépendances qui enchaînent encore l’île à la métropole. C’est aussi ce que montre, dans une approche moins frontale mais tout aussi percutante, la réalisatrice Erika Etangsalé. Avec son documentaire intimiste «  Lèv la tèt dann fenwar. Quand la nuit se soulève  » (*) (Réunion, 2021, 51mn), elle dresse en apparence le portrait touchant de son père mais c’est en réalité la violence de l’histoire coloniale et tout le poids du mutisme qu’elle fait peser sur les familles qui se révèlent en filigrane derrière chaque séquence, pourtant tournée avec une grande douceur.

Bien sûr, la transmission intergénérationnelle ne peut pas se jouer qu’à l’échelle individuelle et les initiatives se multiplient au sein d’institutions scolaires qui souhaitent remplir leur rôle dans la réappropriation de l’Histoire de leur territoire qui en a trop longtemps été dépossédé. Dans «  Marron Bourbon  » (Réunion, 2015, 51mn), à l’occasion de la Fêt Kaf, jour férié à la Réunion qui commémore l’abolition de l’esclavage sur l’île le 20 décembre 1848, et au gré d’un projet mené par une enseignantes avec ses élèves, Marc Chailleby met en lumière le rapport singulier qu’entretiennent les habitant·es avec la période de servitude et d’asservissement qui, pendant un siècle, a profondément marqué l’île. Dans «  #Mission  » (**) (Nouvelle-Calédonie, 2021, 51mn), Pascale Berlin Salmon suit les élèves d’un collège calédonien qui font des recherches pour reconstituer l’histoire du premier contact entre les Kanak et les missionnaires maristes en 1843. De textes anciens en travaux plus récents, de bibliothèques en musées y compris celui du Quai Branly à Paris, leurs recherches montrent les liens qui ont pu se tisser entre la culture kanak et le christianisme, mais elles viennent surtout combler une partie du vide laissé par un enseignement parcellaire de l’Histoire trop longtemps racontée par l’unique prisme du regard colonial.

En nous livrant leur version de l’Histoire, en explorant notre passé commun, tous ces films se veulent un territoire de rencontre pour le futur car, pour reprendre les mots de la réalisatrice de #Mission, «  nous venons de cette aventure, complexe et passionnelle, et nous pouvons faire ensemble l’hypothèse que plus nous dégagerons d’éléments de compréhension, plus nous la visiterons, mieux nous la connaitrons et plus nous serons apaisés.  »

Découvrez davantage de films pour continuer à décoloniser votre été en parcourant notre Base cinéma & société. Arpentez par exemple les films programmés dans le cadre du Festival Ciné Alter’Natif, festival entièrement consacré aux cinémas autochtones, et des Rencontres du cinéma latino-américain dont la dernière édition avait pour thème «  La Décolonialité  !  », ou bien remontez notre fil de l’Histoire via l’axe colonisation/décolonisation.

Bons visionnages  !

Du côté des festivals

Pour aller plus loin