Décade 2012 : El Djazaïr ! France-Algérie, du colonialisme à aujourd’hui

Note d’intention

Le cinquantième anniversaire des accords d’Évian a eu lieu le 18 mars 2012. Ces accords ouvraient la voie à l’indépendance conquise par le peuple algérien et mettaient fin non seulement à 8 ans de guerre mais aussi à 132 ans de domination coloniale totale caractérisée par la férocité de la conquête [1] et par la mise en place d’une législation d’exception (Code de l’Indigénat, confirmé par la loi du 28 juin 1881) institutionnalisant l’infériorité des populations colonisées. Ponctuée par des révoltes (El Mokrani, 1871 ; Margueritte, 1903 ; Sétif, 1945…), la « Nuit coloniale », selon l’expression de Ferhat Abbas [2], prit fin dans le tourbillon des guerres de décolonisation dont le principal chapitre s’écrivit lors de la guerre d’Algérie (1954-1962).

Fidèle à sa démarche, la programmation de la 7e Décade cinéma et société effectue sans cesse des allers-retours entre le passé et le présent. En effet, le colonialisme, la guerre d’Algérie, marquent le cinéma français et le cinéma algérien, comme ils marquent encore la société post-coloniale algérienne et la société française, composite, multi-culturelle, dans laquelle vivent de nombreux français d’origine algérienne et maghrébine.

De nombreux films, avant 1954, témoignent de la réalité du colonialisme français, documentaires de commande, films d’archives qui dès 1896 filment l’Algérie, grâce aux frères Lumière. Notre collaboration précieuse avec le Service des Archives Françaises du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, nous a permis de découvrir une sélection de ces films. Ils renvoient à la représentation stéréotypée des algériens, vision française, portée par les colons et les français de la métropole. Ils permettent de comprendre ce qui pour le peuple algérien a servi de ferment à la lutte pour l’indépendance.

Malgré la volonté politique de gouvernements successifs qui taisent la réalité de la guerre en Algérie en la nommant « pacification » [3] , des cinéastes, et non des moindres, ont fabriqué des films pendant la guerre elle-même, bravant censure et interdictions. Citons entre autres Alain Resnais, Alain Cavalier, Jacques Rozier, Jean-Luc Godard, Agnès Varda…

Après le bouleversement de Mai 68, d’autres cinéastes se lancent à l’assaut de cette histoire récente. Parmi eux Yves Boisset, Laurent Heynemann et bien sûr René Vautier avec Avoir 20 ans dans les Aurès (René Vautier avait rejoint le maquis des indépendantistes algériens dès le début de la guerre et en 1954, son film Algérie en flammes lui valut d’être poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’État notamment pour une phrase : « L’Algérie sera de toute façon indépendante »).

La télévision, quant à elle, produit des émissions qui sont le reflet-miroir du conflit. À travers le déroulé chronologique des émissions les plus emblématiques présentées lors de la Décade, comme 5 colonnes à la une, se dévoilent la radicalisation de la situation et la tension qui monte.

En terme de filmographie, si les lendemains de l’indépendance sont féconds en Algérie, les années qui suivirent en France furent plus silencieuses. Il faudra attendre les années 1990, et même le début des années 2000, pour que la production française soit plus abondante, à travers des fictions comme des documentaires, et pour que commence à s’exprimer la mémoire des appelés d’Algérie, impliqués dans cette « sale guerre ».

Que serait une programmation sur ce thème, sans donner la parole aux cinéastes algériens ? Une carte blanche proposée à Catherine Arnaud, co-fondatrice de la Biennale des cinémas arabes à l’Institut du monde arabe, nous fera découvrir un cinéma exigeant, qui questionne la réalité présente de la société algérienne et les conséquences du colonialisme, déployant ainsi une véritable relève du cinéma d’auteur.

Pari risqué peut-être mais auquel nous tenons, vous proposer, lors de cette 7e Décade cinéma et société, une programmation qui traverse le temps, de 1896 à 2011, à travers des films d’archives et de propagande, des fictions, des documentaires, des films militants. Écouter la parole des témoins de cette histoire qui n’est pas finie, découvrir un cinéma, le cinéma algérien, qui dès l’indépendance montra la voie aux pays non alignés, et qui aujourd’hui déploie toute sa force de création et s’avance vers plus de complexité, telle est notre ambition pour cette édition 2012.

Manée Teyssandier, pour Peuple et Culture
Sylvie Dreyfus- Alphandéry, pour Autour du 1er mai