« Téma la vache ! » (1)

Sélection réalisée en : septembre 2022

Évolutions et perspectives sur l’habitat d’après-guerre

«  On n’est pas d’un pays, mais on est d’une ville  » - Bernard Lavilliers

L’habitat est partie intégrante de ce que l’on est et de ce que l’on peut devenir. Ensemble complexe d’interactions entre les conditions psychologique, sociale et économique d’un individu et de ses relations avec ses environnements matériel et social, il conditionne la capacité à vivre et à s’épanouir.

Notre filmographie du mois de septembre vous invite à faire un pas dans le passé pour comprendre les dynamiques urbaines qui ont construit le paysage français et ont participé à cette augmentation des inégalités.

© La Haine - Productions Lazennec

De l’enthousiasme pour les grands ensembles…

La Seconde Guerre mondiale a été un point de bascule dans le développement du territoire. C’est une des guerres les plus destructrices de l’histoire de France, non seulement par les terribles dégâts humains qu’elle a entraînés, mais aussi pour son coût matériel avec 300 000 logements réduits en cendre, des villes rasées par les bombardements. La guerre a immédiatement été suivie d’une grave crise du logement. Transportée par l’élan des Trente glorieuses, la reconstruction est alors investie par de grands architectes ou urbanistes.

C’est aussi à cette époque que, dans le but de sensibiliser aux actions des services publics, certaines institutions se dotent de leurs propres services cinématographiques ou font appel à des maisons de production. Ce moment d’histoire est donc documenté de manière unique et nous offre l’opportunité de comprendre les aspirations, les imaginaires et les volontés qui ont traversé l’urbanisme dans la période d’après-guerre.

Après la Libération, se mettent en place des plans visant à redémarrer l’appareil du pays, notamment dans le domaine de la construction. En effet, il existait encore de nombreux taudis et la ville était alors considérée comme mal construite et à l’origine de nombreux vices. Le film «  Aubervilliers  »* (1945) est un parfait exemple de la vision des quartiers populaires au sortir de la guerre. Le premier plan de relance déclenche donc la construction des grands ensembles. En 1958, l’émission «  Le problème du logement  »* explique la démarche engagée à Paris.

Pour y parvenir, encore fallait-il considérablement modifier le marché du bâtiment. Les méthodes de construction sont alors industrialisées. Le court métrage d’information «  Mur en quatre heures  »* (1958) nous rappelle la foi considérable de l’époque en la technique.

Au-delà d’une nouvelle manière de construire, les grands ensembles représentaient une autre manière de vivre. Comme l’explicite le petit film d’animation «  New town, la ville heureuse  »* (1950), ils devaient être des lieux d’épanouissement. L’homme moderne devait pouvoir y trouver repos («  Des maisons et des hommes  »*, 1953) et la femme devait y accéder au bonheur dans un intérieur optimisé, où elle était encore confinée («  Madame Valentin, 3e gauche  »*, Jean Leherissey, 1959).

…au retour de la banlieue

Cependant, dès les années 1960, se développent les bases de la condamnation des grands ensembles. Certains trouvent déjà qu’ils nuisent au lien social, limitent les interactions de quartier. Jean Gabin en particulier représente cette critique des grands ensembles dans «  Mélodie en sous-sol  » (Henri Verneuil, 1962) où on le voit chercher sa maison parmi les tours et les barres anonymes. On trouve aussi des grands ensembles laids, uniformes ou tristes. Le film «  Playtime  » (1967) témoigne de cette lassitude : des Américains sont perdus à Orly puis Paris où tout se ressemble. Les scientifiques commencent également à douter de la qualité de vie dans les nouvelles cités. Dans le documentaire «  Bâtir pour les hommes  » (1963), des architectes et sociologues critiquent les conditions d’existence dans ces quartiers.

La critique s’étend et se répand, la modernité d’hier est l’archaïsme d’aujourd’hui. Les grands ensembles sont pointés comme source de criminalité et de détresse sociale, à l’instar des taudis en leur temps. Un autre sujet médiatique commence à apparaître, celui des «  jeunes de banlieue  », prisonniers de l’ennui et enclins à la violence. «  Santo Pietro  »* (1967) est l’un des premiers films sur ce thème.

On assiste donc dans les années 1970 à un retournement des représentations : les grands ensembles deviennent ce qu’ils étaient censés éradiquer. Si bien qu’en 1973 le gouvernement interdit leur construction.

En parallèle et au terme de la guerre d’Algérie, commence à se développer une forme de racialisation des politiques urbaines. À partir des années 1980, les grands ensembles deviennent ce qu’on sous-entend aujourd’hui par «  banlieues  ». Une connotation majoritairement négative qui transmet l’idée des banlieues comme un problème pour la société française nécessitant une intervention des pouvoirs publics. Les médias posent alors un pied dans ce qui deviendra un lieu commun journalistique. On associe de plus en plus «  immigration  », «  insécurité  » et «  banlieues  ».

Pourtant, les habitant·es de ces quartiers aspirent à l’égalité et font entendre leur voix. Dans son documentaire «  33, Parc des Courtillères  » (1997), Nicolas Stern dépeint la diversité des cités, la recherche d’identité et de reconnaissance des descendant·es d’immigré·es. Un déchirement que l’on retrouve aussi dans «  Question d’identité  »* (1986) qui relate les différences générationnelles entre les immigré·es de la première et de la seconde génération.

L’image des quartiers populaires se réduit dans les médias aux grands ensembles, à l’habitat social, souvent en périphérie des grandes villes. La figure du «  jeune des quartiers  » apparaît et avec elle un sous-entendu raciste évident. Il sont dépeints comme «  violents  », «  délinquants  », «  radicalisés  », inscrivant ces territoires dans une «  France périphérique  », hostile à l’unité républicaine. «  Le thé au harem d’Archimède  » (1985) illustre cette figure du jeune ayant à grandir dans un environnement hostile et à trouver son identité parmi les injonctions racistes.

La vision sécuritaire des banlieues contribue à l’invisibilisation des discriminations et du racisme systémique. Ces stéréotypes sont aujourd’hui renforcés par la légitimité grandissante des figures d’extrême-droite dans l’espace politico-médiatique. Les contradictions entre les discriminations subies et les réactions médiatiques ou politiques engendrent, depuis la fin des années 1970, des émeutes. En 1995, le film «  La Haine  » témoigne de la montée des tensions entre autorités publiques et habitants des quartiers populaires.

Le rêve des classes moyennes

Un autre modèle d’habitat se développe en périphérie des villes à partir des années 1950 : l’habitat individuel pavillonnaire. Il est l’expression d’un idéal issu de la bourgeoisie mais porté principalement par les classes moyennes. En effet, si les formes d’habitats collectifs étaient plébiscités par les intellectuels, la population française et en particulier les classes intermédiaires voyaient en l’habitat individuel un moyen de vivre mieux, ce qui est d’ailleurs retranscrit dans le film «  Ma famille et mon toit  »* (1956). Le modèle de la famille embourgeoisée est d’ailleurs critiqué par Jacques Tati dans «  Mon oncle  » (1958), où il caricature une maison moderne et aseptisée. Nouvel idéal de vie, cet habitat a orienté les quartiers vers une fonction strictement résidentielle.

Cependant, avec la paupérisation des classes intermédiaires, l’image de ces territoires a considérablement évolué. La population qui y habite se trouve prise dans ce que Pierre Bourdieu désigne comme le piège de la propriété, engendré par les prêts et les dettes contractées pour l’achat de la maison. La situation de ces habitant·es se rapproche des catégories les plus défavorisées du pays, mais sans les aides sociales proposées à ces dernières. Certains chercheurs considèrent que les pavillons font aujourd’hui office de réassurance pour ces pans de la population menacés de déclassement. De plus, ce type d’habitat est de plus en plus critiqué. Le périurbain est devenu un lieu de fracture socio-spatiale. Toutes ces problématiques ont fait des zones périurbaines un nœud de tensions économiques et sociales qui ont en partie mené à la crise des Gilets jaunes (voir notre filmographie de janvier 2022 : Gilets jaunes : la mémoire filmée d’un mouvement).

Crise des campagnes et disparition de la paysannerie  ?

Avec le développement des zones périurbaines, il est parfois difficile aujourd’hui de distinguer un «  milieu rural  » d’un «  milieu urbain  ». C’est justement à partir des années 1950 que ce basculement s’est produit. En effet, les Trente Glorieuses ont été marquées par un exode rural important menant, à partir des années 1980, à la disparition d’un certain mode de vie et d’une culture paysanne, entraînant également la destruction du tissu social dans des régions entières.

Dans le même temps, les villes se sont élargies et densifiées, profitant notamment du départ des plus jeunes de leur campagne natale. Paris en particulier est un exemple extrême du phénomène. Le film «  Paris et le désert français  »* (1957) témoigne justement de la disparition progressive d’un village et tente de proposer des solutions à cette situation. Il dénonce également les deux phénomènes que nous avons évoqués plus haut : la construction de zones d’habitations sans âme et des grands ensembles comme dortoirs. Ce film marque le début de la logique de décentralisation dans les politiques urbaines. «  Naissance d’une banlieue, mort d’un village  »* (2000) relate les mêmes dynamiques et suit la lutte active des habitants pour leur village.

Les conséquences sociales de l’exode rural sont terribles pour les communes. Le principal concerné est évidemment le monde paysan, principale occupation des habitants des communes rurales. Dans le film «  Un paysan à Paris  » (1960), un portrait de la paysannerie est dressé au travers du personnage d’André qui se rend au Salon de l’agriculture de Paris. Plus intimiste, Jean-Michel Barjol retrace le quotidien d’un couple de paysans vieillissant en Ardèche dans un village abandonné («  Au temps des châtaignes  »*, 1965). Il porte un regard doux sur ces deux représentants d’un monde qui n’existe plus et qui va finir de disparaître avec eux.

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Notes

(*) : Films disponibles en ligne.

(1) Le titre de notre filmographie «  Téma la vache  !  » est inspiré d’une célèbre scène du film La Haine de Mathieu Kassovitz sorti en 1995.