Sports, cinéma et ESS

Sélection réalisée en : octobre 2023

La filmographie est également disponible au format pdf ici.

Alors que la deuxième mi-temps de nos Rencontres cinéma & société «  Sport grand écran  » vient tout juste de se terminer, et tandis que notre escale intitulée «  Il va y avoir du sport  » est encore disponible sur Tënk jusqu’à la fin du mois, nous continuons notre exploration des relations entre sport et cinéma avec cette filmographie traversée par la vitalité sportive de l’ESS et des initiatives de la transition.

Cela nous a semblé d’autant plus important d’éclairer cette dimension sociale et solidaire souvent oubliée du monde sportif que la France est maintenant à quelques mois d’accueillir les Jeux de Paris 2024, les premiers Jeux olympiques à avoir officiellement revendiqué leur inscription dans l’ESS et la transition sociale et écologique. Cette filmographie vient donc en écho à #ESS2024, la plateforme coordonnée par les Canaux (la «  Maison des économies solidaires et innovantes  ») qui a vocation à informer, mobiliser et accompagner les acteurs de l’ESS et les entrepreneurs à impact afin de «  réussir les premiers Jeux durables, inclusifs et solidaires de l’histoire  ».

© Démocratie en noir et blanc - TVZéro

Si, dans l’imaginaire occidental, le sport a souvent été le lieu de la prouesse, de la performance, ainsi qu’un outil nouveau pour former une élite, il n’en est pas moins devenu un terrain privilégié d’expression pour les luttes, plus particulièrement pour les populations initialement écartées de sa pratique. En juillet dernier, le festival Résistances de Foix montrait déjà avec sa programmation intitulée «  Le sport, et si c’était bien  ?  » que les femmes, les classes populaires, les colonisés ou encore les handicapés, tous les exclus et victimes de discriminations ont su lutter pour gagner leur place, questionnant ainsi sans cesse notre rapport au corps, notre désir d’émancipation et de réappropriation de soi.

Il nous a donc semblé naturel d’explorer via cette nouvelle filmographie la question du lien entre ESS et sports alors que celles et ceux qui les pratiquent ne visent pas que les performances physiques mais combattent aussi les inégalités, les préjugés et les discriminations de toutes sortes. D’autant que les nombreux clubs de sport sont la preuve éclatante de la vitalité du secteur social et solidaire en France : selon les chiffres officiels du gouvernement, ce sont pas moins de 3,5 millions de personnes qui œuvrent bénévolement chaque année dans une des 360 000 associations sportives du pays…

Les films sélectionnés, récemment intégrés à notre base TESSA (Transition, Économie sociale et solidaire, Alternatives), témoignent ainsi des valeurs de solidarité et d’inclusivité qui animent les sportifs afin de façonner un monde meilleur, en pleine transition sociale et environnementale.

Défis sportifs et luttes sociales

Plus qu’un simple club de boxe, le collectif marseillais Boxe Massilia s’affirme dans La lutte est une fin (2022) comme un véritable rendez-vous social, un lieu où tout le monde, et en particulier les pauvres et les prolétaires, se retrouve pour se parler, se rencontrer et «  faire culture ensemble  ». Pas surprenant que ce soit aussi dans ce club que les boxeurs trans se sentent bien, alors qu’il leur est encore compliqué de participer à des compétitions…

Dans Ladies’ Turn (2012), l’association éponyme investit les terrains afin de braver tabous et préjugés. Le film raconte l’histoire de Seyni, pionnière du foot féminin au Sénégal et ancienne capitaine de l’équipe nationale, qui pousse les filles des quartiers à occuper un espace social dont elles sont d’ordinaire exclues. Ladies’ Turn, c’est l’histoire de ces combats et des fortes solidarités qui en découlent, derrière le pur plaisir de jouer.

L’insertion est un sport d’endurance (2016) nous emmène à la découverte de Viltaïs, une association à caractère social qui prend en charge des jeunes de moins de 25 ans en grande difficulté. Afin de leur redonner confiance et estime de soi, Viltaïs les emmène sur les circuits de motos et les met au défi d’atteindre l’objectif annoncé : devenir champions du monde.

Performants, autrement

Deux films de notre sélection s’intéressent à des sportifs de haut niveau pas comme les autres et abordent avec subtilité et grande humanité la question du handicap dans le milieu de la compétition. Performants autrement (2016) et Manu, une histoire de M.E.C. (2010) suivent sur le long cours ces athlètes de sport adapté, au gré de leurs entraînements et des qualifications. Qu’ils soient atteints d’un handicap physique, mental ou psychique, flagrant ou à peine visible, ils ont tous un point en commun : leur détermination à se hisser au sommet de leur sport.

Ces deux films sont aussi une belle leçon de cinéma : adoptant le style du cinéma direct, les caméras en immersion se font tour à tour aussi discrètes que possible quand les tics et autres tocs prennent le dessus, et interlocutrices à l’écoute quand les confessions s’imposent et que la parole déborde. Films rencontres, films épopées, ces deux documentaires ne rabaissent jamais leurs protagonistes à leur condition de personne handicapée, qui n’est qu’un aspect de leur personnalité. Comme le dit très bien le réalisateur Vincent Deveux qui a choisi de se placer «  à hauteur de chaise  » afin de filmer le monde comme les adeptes du foot-fauteuil le voient, «  en descendant la caméra, on élève le point de vue  ».

Autogestion et révolution : vers d’autres gouvernances sportives

Il faut bien avouer que les exemples de démocratie directe sont assez rares dans le football… A fortiori en pleine dictature militaire  ! Le film Démocratie en noir et blanc (2014) s’est donc rapidement imposé dans cette filmographie puisqu’il raconte l’histoire d’un club de football légendaire, les Corinthians de São Paulo, qui s’est lancé dans l’autogestion alors que le pays était sous le joug de la dictature. Organisation, déplacements, primes de match, tout était géré par les joueurs et les adhérents du club eux-mêmes. Cette expérience unique, investie d’engagement politique et surnommée la «  démocratie corinthiane  », a accéléré les changements qui devaient par la suite secouer le pays.

Si le rugby gallois a longtemps été le plus éclatant et ses joueurs les plus redoutés des Îles britanniques, ils ne font plus peur à personne depuis les années 1990, leur déclin coïncidant avec la crise économique et la fermeture des industries minières. Pourtant, Gueules noires et diables rouges (1999) nous montre qu’à Tower Colliery, la dernière mine de fonds encore en activité parce qu’elle a été rachetée par ses employés, rugby et mine font encore corps, comme autrefois… Et grâce à cette gestion coopérative originale, les chœurs chantent, les mêlées avancent et le Pays de Galles relève la tête, avec vigueur et dignité.

Un peu de poésie dans ce monde de sports…

Pour terminer cette sélection, nous vous proposons de faire un pas de côté et de vous laisser porter par un peu de poésie cinématographique… Pendant neuf courtes minutes, Kachalka (2019) nous plonge au cœur du légendaire et insolite club de musculation de Kiev : un club ouvert à tous et en plein air, dont les improbables structures de métal, hétéroclites, un peu rouillées mais non moins choyées, ont été entièrement construites avec des matériaux de récupération. Une autre façon de faire du sport… et une façon originale et concrète de mesurer l’impact sociétal et environnemental de ces pratiques. Car comme l’équipe éditoriale de Tënk l’exprimait très justement au moment de programmer le film, «  on devine que ce que l’on préserve ici n’est pas uniquement mécanique. Ce sont aussi et surtout des liens humains, une certaine proximité – comme si, quand tout n’est pas parfait, quand c’est un peu bricolé, ça nous rapprochait.  »

Du côté des festivals