Décade 2010 : Le féminisme est-il un mauvais genre ?

Présentation de la programmation par Nicole Fernandez-Ferrer

Par Nicole Fernandez Ferrer [1]

Avec cette carte blanche cinématographique qui m’a été confiée pour fêter les 40 ans du Mouvement de libération des femmes en France, loin de toute commémoration pesante, nous partagerons des images d’hier et d’aujourd’hui tout à fait d’actualité. Je propose de faire se croiser le documentaire filmé, la vidéo militante des années 70-80, le montage d’archives, l’essai, le numérique de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Documentaires engagés, films autobiographiques, fictions, comédies ou drames, humour corrosif et décapant, détournements d’émissions de télévision… il n’y a pas de limite de genre ou d’écritures, plutôt des alternatives qui créent une émulation des pratiques.

Si les femmes ont toujours été présentes dans le cinéma dès les premiers films, les années 70 marquent une montée en puissance de l’expression des femmes et des sujets féministes. Les stéréotypes, la discrimination contre les femmes, les droits des femmes au travail, la libre disposition de son corps vont constituer autant de thématiques de films. La représentation des femmes à l’écran devant la caméra, derrière la caméra en est bouleversée. Des équipes techniques entièrement féminines verront le jour. La radicalité de l’approche des réalisatrices fait bouger les lignes. Les luttes politiques, les batailles du mouvement féministe, lesbien et homosexuel vont être relayées par des groupes ou des individus, femmes et hommes activistes, qui filment, montrent, donnent une visibilité médiatique à tous ces mouvements.

Une pratique nouvelle, des images rares

Dans la foulée de mai 68 et des États généraux du cinéma, le cinéma d’intervention renaît de ses cendres, avec la volonté de filmer le réel sur le vif et d’agir sur les mouvements de lutte. Dans ce contexte d’effervescence militante, des réalisatrices s’emparent des nouvelles ressources du cinéma, et en particulier de la vidéo, avec les caméras Portapacks de Sony. Elles accompagnent ainsi l’histoire et les luttes des femmes et prennent en charge leur propre représentation.

A l’instar de Virginia Woolf qui réclamait Une chambre à soi, les féministes revendiquent « une caméra à soi ».
 Un peu partout en France, les collectifs vidéos se multiplient, non institutionnalisés, fluctuants et productifs. Carole Roussopoulos filme la première manifestation du FHAR (Front Homosexuel d’Action révolutionnaire). Peu avant un collectif de féministes part caméra au poing filmer une grève de femmes à Troyes.

Carole Roussopoulos rapporte ainsi ses débuts de vidéaste : « Jean Genet me dit : “Il y a une machine révolutionnaire qui vient de sortir”. C’était vraiment le départ de la vidéo. Je me suis alors dit que, non seulement j’allais être libre de faire ce que je voulais, mais que j’allais pouvoir donner la parole aux gens qui ne l’avaient pas […]. Ces gens-là, on ne les voyait jamais et on ne les entendait ni à la radio ni à la télé. Et je me suis dit que la vidéo était l’outil rêvé pour ça, parce que ça ne coûtait pas cher. Je m’y suis donc mise, c’était en 1969. » (Carole Roussopoulos, in 360°, octobre 2003).

S’ensuivra une production abondante, politique, engagée, aux côtés de son mari Paul, tous deux signant leur vidéos du nom de Video Out, tandis qu’un groupe de femmes vidéastes activistes Videa commence à tourner. Il n’y a pas de commentaire, seule compte la parole des personnes filmées. De la dénonciation de l’attitude machiste de la C.G.T. au questionnement du « français moyen » sur sa vision des lesbiennes et des homosexuels (Manifestation contre la répression de l’homosexualité), de la solidarité avec les ouvrières du textile de Troyes (Grève de femmes à Troyes) , des relations femmes hommes chez les LIP en grève, au portrait des comédiennes face à l’industrie du cinéma américain et français (Sois belle et tais-toi !), on retrouve la volonté marquée de laisser du temps à la parole, la richesse d’un cadre qui embrasse plus qu’il ne découpe, l’interpellation explicite du spectateur.

Les questions de genre [2], d’orientation sexuelle sont soulevées. Les femmes s’impliquent dans ces films engagés (Accouche), manient l’humour (Maso et Miso vont en bateau), la dérision et attaquent l’ordre social établi (Y’a qu’à pas baiser, Les Enfants du gouvernement). Les rôles filmant/ filmé sont mêlés. Le cinéma devient une arme de combat des féministes.

Les années 80-2000

Liliane de Kermadec, Chantal Akerman ou Coline Serreau, réalisatrices et auteures, travaillent dans leurs films de fiction les questions du corps, de la folie, de la création, du sexe, de l’argent, du stéréotype sexuel, de l’hétérosexualité, de la famille et du travail ménager avec une acuité extraordinaire.

Les années 80 et 90 verront la présence des femmes se renforcer derrière la caméra. Les réalisatrices osent avec talent la comédie musicale (Golden Eighties) la science-fiction politique (Born In Flames).

La fin des années 90 et les années 2000 avec l’augmentation du nombre de femmes dans les écoles de cinéma et un plus grand nombre de films signés par des femmes fait ressurgir la question de l’identité, du rapport des cinéastes au féminisme.

Certains journalistes croiront dans les années 90 déceler une vague de femmes à la caméra. Idée qui réalimentera un vieux débat agaçant pour plus d’une réalisatrice de nouveau cantonnée à sa condition « féminine » et sommée d’expliquer si son cinéma est du côté de l’art ou de la question sociale.

Certaine cinéastes vont chercher du côté de l’expérimentation une vision décalée, et pertinente des enjeux de la représentation de l’histoire, histoire intime ou histoire politique. Des portraits, des autoportraits, des parcours intimes questionnent l’histoire, la famille, l’identité, la perte, l’enfermement, l’exil prenant valeur universelle de remise en cause de l’appartenance visible, brisant des silences politiques (Bajo Juarez.La Ciudad devorando a sus hijas).

Ce programme, courte introduction à un parcours du cinéma féministe s’inscrit dans une mémoire, un « matrimoine » audiovisuel qui s’enrichit de génération en génération. Matière à débats, marqué par les périodes historiques qu’il traverse le cinéma féministe est sujet à des questionnements, des remises en cause, une adhésion ou un rejet mais il ne laisse pas indifférent.

Laissons les derniers mots à Françoise Audé, critique de cinéma trop tôt disparue : « Qu’elles le veuillent ou non, les réalisatrices n’échappent pas à la question de l’identité. D’abord cinéastes, elles sont amenées par le regard, les questions des autres et par le recul sur leur propre travail, à assumer leur sexe. Le faisant, elles sont interrogées sur leur positon à l’égard du féminisme, un glissement logique. Plusieurs réagissent par la dénégation, d’autres plus prudentes se tiennent à distance de cette problématique. J’en fais état, je ne juge pas, responsables de leurs films, elles le sont de leurs options. Une phrase d’Agnès Varda donne sa juste proportion, (ici « juste » ne signifie pas modeste) à la démarche de cinéaste féministe : « c’est (…) sortir de son miroir et de l’image que la société vous propose d’être, sortir de la cuisine, aller dehors, regarder les autres, choisir et composer avec les difficultés et les contradictions. ». Parole de glaneuse généreuse. Visionnaire aussi. » (Extrait de Cinéma d’elles.1981-2001- Editions L’Age d’Homme, Suisse, 2002.)

Le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir

Fondé en 1982 par Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder, le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir a pour mission de recenser tous les documents audiovisuels sur les droits, les luttes, l’art et la création des femmes.

Le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir filme et archive aussi des événements contemporains. La création d’une mémoire audiovisuelle s’inscrit dans la perspective commune au mouvement des femmes de donner une image positive de leur place, de leur rôle et de leur contribution.

Le Centre diffuse les films issus de ses archives et de ses collections, programme des projections, anime des ateliers avec des scolaires et en milieu carcéral.
Le Centre accueille des chercheurs, des journalistes, des étudiants, des producteurs de cinéma et de télévisons intéressés par ses archives.

En France comme à l’étranger, le Centre est un lieu de ressources, de conseils et d’échanges sur les femmes et l’audiovisuel unique en son genre.

Site Internet du Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir